Éditions Gilles Guillon, collection 14/18
Un beau roman historique avec cette saga qui retrace le premier quart du vingtième siècle dans la Somme.
En ce début des années 1900, l’auteur nous dépeint une Picardie secouée par les mouvements sociaux et les mouvances anarchistes durement réprimées. Ce sont les conséquences d’une population aux abois qui peine à survivre face à des propriétaires et des directeurs d’usines sans pitié ni humanité. À cette époque, l’homme n’est qu’une marchandise interchangeable aux yeux de certains, et si les mentalités évoluent doucement, il y a encore du chemin à faire! Pas facile de faire entendre ses droits les plus légitimes quand la guerre est aux portes du pays et que toute contestation est assimilée à de l’anti-patriotisme.
L’oncle Émile est justement un de ces « dangereux » anarchiste que le commissaire Giraud entend bien éradiquer. Pour lui, nul doute que l’homme et sa famille sont des terroristes en puissance et rien ne sera épargné à la famille Coulon: fouille et saccage de leur maison à répétition, harcèlement, fichage... un acharnement qui se poursuivra alors même qu’Émile a été arrêté et envoyé au bagne.
Aux mouvements sociaux va succéder la Grande Guerre. Julien, l’aîné des Coulon, sera envoyé sur le terrain et là encore il fera les frais de la lubie du commissaire. Il va alors être confronté à toute l’horreur, la barbarie et l’inutilité de la guerre alors même que les journaux et le gouvernement glorifient la grande et fière armée française.
Sa famille ne sera pas en reste avec la réquisition d’une grande partie de ses terres par les alliés anglais. Les habitants vont alors découvrir la mise en place d’un camp de travail de Chinois. Ils sont volontaires, ils ont des contrats de travail civil et pourtant les conditions de vie et de détention y seront abominables. Une tranche du passé peu glorieuse.
Cette saga historique nous livre des faits extrêmement précis qui se sont déroulés du début des années 1900 à 1918, juste avant la fin de la première guerre mondiale. On va vivre les événements au travers les hommes et les femmes qui les ont vécu. Cela nous offre un récit extrêmement riche et intense dans lequel on s’immerge totalement.
Les faits réels sont extrêmement nombreux et il y a de nombreuses notes explicatives. C’est très précis, peut-être un peu trop parfois. J’avoue que j’aime beaucoup apprendre des choses dans mes lectures mais il ne faut pas que cela devienne une leçon d’histoire.
On va suivre la famille Coulon tout au long du livre, une famille qui va souffrir plus que de raison mais qui saura garder la tête haute et rester unie malgré les événements.
On s’attache à eux, on souffre et on s’indigne face à tout ce qui leur arrive. Si les événements sont ici concentrés sur une seule famille, ils n’en restent pas moins véridiques.
Ce livre m’a permis de découvrir énormément de choses sur cette région. J’ai beau être née à Amiens, je n’y ai jamais vécu et j’ai peu de connaissance sur la Picardie.
J’ai notamment découvert l’existence des camps de chinois dans la région (il y en a eu ailleurs mais celui de Noyelles aura été le plus grand). Les conditions de vie, la grippe espagnole et autres en feront aussi le plus grand cimetière chinois de France et d’Europe avec plus de 800 tombes.
Venus pour pallier le manque de main d’œuvre (les hommes valides étant à la guerre), ils seront recrutés dans les colonies anglaises et transportés dans des conditions déplorables. Sur place les conditions ne seront guère plus favorables.
L’auteur revient sur ce point en fin de roman et apporte quelques explications et détails supplémentaires, c’est très intéressant.
Un autre point développé dans ce roman est le rôle des femmes. Celles-ci vont commencer à s’émanciper pendant la guerre et occuper des postes auparavant réservés aux hommes, dans les champs mais aussi dans les usines.
L’auteur aborde ainsi cette prise de conscience des femmes dont le rôle ne se borne plus à se marier et faire des enfants. Non seulement elles travaillent, elles font vivre leur famille en rapportant de l’argent mais elles sont compétentes et méritent une juste rétribution pour cela. Les premières grèves féminines auront ainsi lieu pour demander de meilleurs salaires.
J’ai aussi découvert que ces femmes ont dû se défendre contre les organisations syndicales qui pensaient que ces dernières étaient un danger pour le travail des hommes quand ces derniers rentreraient du front!
Bref un roman historique comme je les aime, qui me projette dans la grande histoire. J’ai appris énormément de choses et j’ai eu envie de pousser certaines recherches.
Le tout est suffisamment romancé pour rendre le récit intéressant. J’aime particulièrement quand l’homme est au cœur de l’histoire et c’est le cas ici avec la famille Coulon qui va nous faire vivre et partager toutes ses épreuves.
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